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Entretien avec Mme Amélie de Montchalin, Ambassadrice et Représentante Permanente de la France auprès de l’OCDE.

22 avril 2024 Formations

L’OCDE est une organisation internationale réunissant 38 pays membres. Son siège est à Paris et plusieurs anciens élèves de l’ENA et de l’INSP y travaillent ou collaborent à ses travaux. L’Ambassadrice accueille chaque année un stagiaire de l’INSP. 

L’organisation de coopération et de développement économique (OCDE) se définit comme une « Organisation internationale qui œuvre pour la mise en place de politiques meilleures pour une vie meilleure ». Quel est son champ d’action et comment définiriez-vous sa valeur ajoutée ? 
L’OCDE a une longue histoire et sa mission a évolué dans le temps pour s’adapter aux enjeux économiques et géopolitiques. L’Organisation européenne de coopération économique a été initialement créée pour gérer la répartition de l’aide du plan Marshall, avec au cœur de son projet la coopération pour le développement économique des économies européennes. L’OCDE qui lui a succédé en 1961 est devenue le cercle de coopération du bloc de l’Ouest, jusqu’en 1989, avec pour ambition de contribuer au développement des économies occidentales et d’accompagner le développement des pays tiers, dans un contexte de décolonisation. La chute du mur de Berlin a accéléré la mondialisation des économies. Néanmoins, il est apparu nécessaire d’organiser et de réguler cette mondialisation, pour éviter certaines dérives néfastes économiquement et socialement. A partir des années 2000, la lutte contre les inégalités s’est invitée dans les travaux de l’OCDE comme une priorité. 
Aujourd’hui, l’OCDE se pose en plateforme d’échange de bonnes pratiques, de conseil à ses membres et d’organe d’évaluation entre pairs et en plateforme de négociation sur les sujets transfrontaliers et globaux pour faire émerger des cadres de coopération ou pour développer de nouveaux systèmes de régulation. C’est donc un lieu de création de normes communes. Si ses travaux sont connus en matière de la lutte contre l’évasion fiscale ou de lutte contre la corruption, l’OCDE s’investit également sur les politiques d’éducation et de formation (PISA), de santé, d’égalité femmes-hommes, sur la politique industrielle et sur les sujets climatiques, le développement régional, sans compter ses sujets traditionnels tels que la gestion publique et la gouvernance
Enfin, trois agences sont liées à l’OCDE : l’agence internationale de l’énergie (AIE), l’agence pour l’énergie nucléaire (AEN) et le forum international des transports (FIT). 
Le travail de normalisation de l’OCDE repose sur la création de confiance entre les États et sur l’adoption coordonnée de nouvelles normes, afin de faire émerger des externalités positives pour tous. Chacun accepte de s’auto-contraindre, car il a l’assurance que les autres feront de même et que de la sorte les problèmes liés à des concurrences prédatrices et des situations génératrices d’inefficacité pourront être résolues. La transparence et le fait de se soumettre à l’évaluation de ses pairs sont clés, dans ce système qui repose sur la confiance et non sur la contrainte. Ainsi, la France, par exemple, est actuellement évaluée par d’autres États membres sur sa politique d’aide au développement, sa politique économique et sa politique de lutte pour la corruption. 
Une soixantaine d’experts français de tous les ministères participent aux travaux et une dizaine de conseillers travaillent dans mon équipe à la représentation permanente, en lien avec le Secrétariat aux Affaires européennes qui veille à la cohérence des positions prises et au portage des priorités françaises. Les sujets sont parfois très techniques et il est nécessaire d’éviter les injonctions contradictoires, car il n’est pas rare d’avoir des arbitrages impliquant plusieurs champs politiques. La cohérence de nos positions à Bruxelles et à l’OCDE est aussi essentielle pour ne pas détricoter d’un côté ce que nous construisons de l’autre sur les mêmes sujets.
L’OCDE est un producteur de « soft law » qui interfère également sur des sujets régulés au niveau européen. Comment cela s’articule-t-il ?  
Il y a relation complexe et fertile qui se joue entre l’OCDE et l’Union européenne. Parmi les 38 membres de l’OCDE, 22 sont membres de l’UE, ce qui signifie qu’ils représentent une majorité, quand bien même l’OCDE travaille par consensus, c’est-à-dire à l’unanimité et donc sans vote. L’OCDE est une enceinte par laquelle l’UE peut étendre l’influence de ses normes, comme sur l’agenda vert européen, et inversement, des normes de l’OCDE peuvent être reprises dans le corpus législatif européen. 
La lutte contre la corruption, les normes sociales et environnementales par exemple nécessitent une application internationale pour être vraiment opérantes. Le « droit mou » créé à l’OCDE sur ces sujets a été réintégré dans le « droit dur » européen. 
L’OCDE est aussi une enceinte où se débattent et s’affrontent des visions différentes des sujets. Ainsi, sur la protection des données personnelles, certains États non-européens cherchent à créer une norme concurrente à celle européenne. Sur certains sujets, les positions sont très antagonistes et les débats sont vifs avec nos partenaires anglo-saxons ou asiatiques, comme sur l’agriculture, les questions de sécurité économique, de chaines de valeur, ou sur l’agenda de réindustrialisation et des subventions que certains États déploient massivement. 
La cohérence des positions prises par les États membres de l’UE qui s’expriment individuellement est alors primordiale pour faire front. Très concrètement, nous avons une réunion de coordination entre ambassadeurs européens une fois par mois et avant les grandes échéances La Commission s’exprime au nom des États membres uniquement sur les sujets de sa compétence exclusive, comme le commerce extérieur. 
L’OCDE est perçue comme « le club des économies développées ». Comment cette organisation s’insère-t-elle dans le jeu géopolitique et multilatéral ?  
La France et l’Union européenne n’ont pas la vision d’un monde fragmenté en des blocs opposés. Nous cherchons, de manière volontariste et sans naïveté, à faire vivre la coopération internationale et à soutenir un agenda multilatéral porteur de progrès – et in fine, de paix. 
L’OCDE est un lieu de dialogue multilatéral utile, notamment pour dépasser les difficultés liées à la concurrence économique ou commerciale. Loin d’être un club fermé, l’OCDE a une approche inclusive. Nous sommes en train d’élargir très sensiblement le cadre de travail sur l’Intelligence Artificielle après avoir créé le Partenariat Mondial pour l’IA lors du G7 français de 2019, soutenu depuis par l’OCDE. Sur les sujets fiscaux, les travaux de l’OCDE ont créé une dynamique qui réunit à présent près de 140 pays ; sur les sujets du développement, c’est 50 pays contribuent aux travaux du Centre de développement, et l’OCDE héberge le Secrétariat du Pacte de Paris pour les Peuples et la Planète, initiative du Président de la République pour mieux financer le développement et le climat, qui réunit déjà plus de 45 pays. La Chine est associée à certaines réunions. 
Enfin, plusieurs pays sont candidats à l’OCDE : trois États membres de l’UE, trois grands pays de l’Amérique latine (Pérou, Argentine et Brésil) et l’Indonésie. C’est la preuve de son utilité et importance comme lieu de dialogue multilatéral. 
L’OCDE doit évidemment continuer constamment à renforcer sa pertinence dans un monde tenté par la fragmentation ou le repli national, et nous cherchons chaque jour à rendre ce travail multilatéral efficace et porteur de solutions concrètes.